Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Arendt : trois caractéristiques pour décrire le totalitarisme

6 Mars 2014 , Rédigé par Laurent Robichon-Leclerc Publié dans #Critiques

Tout d’abord, le totalitarisme se différencie des autres régimes totalitaires : nouvelles formes d’institutions, destruction de la tradition, le pouvoir de l’armée se déplace dans la police, modification du système de valeurs, agrégation des classes en une masse. Toutefois, trois grandes caractéristiques peuvent définir le régime totalitaire, et tel un effet de dominos, la première engendre la deuxième qui à son tour place les assises de la troisième. Il s’agit d’une idéologie suprême, d’une perte de contact avec la réalité et, enfin, d’une désolation généralisée. Ces trois aspects sont entrainés dans un mouvement autodestructeur pour tout et tous.

Contrairement à la tyrannie, il existe, malgré l’abrogation de lois positives - qui est nécessaire lors de la prise de pouvoir-, une législation qui, en outre, n’est pas (ou peu) arbitraire. L’orientation de toutes les lois découle d’une loi suprême qui est basée sur un discours scientifique. Pour le régime fasciste allemand, il était question de la loi naturelle découlant de la théorie de l’évolution de Darwin. Pour l’Union soviétique, l’arrivée d’une société communiste est fondée sur les écrits de Marx. Dans les deux cas, la situation actuelle n’est qu’un stade de l’évolution, une étape vers la construction d’un nouveau genre humain. Les régimes totalitaires, suivant le processus naturel des choses, sacrifient pour la cause afin d’accélérer le mouvement. Toutes idéologies comportent des postulats, mais le totalitarisme développe pleinement l’essentialisme de l’idéologie, de telle sorte qu’aucune remise en question n’est possible, d’une part parce que cela reviendrait à devenir un obstacle pour l’objectif commun, et par conséquent, toutes personnes qui remettent en cause la légitimité de l’idéologie seront considérés comme des ennemis à éliminer. D’autre part, l’acte de penser peut faire en sorte que l’on se contredit. Ainsi, la peur, voire la terreur, dépasse le cadre public pour s’étendre à la vie privée et intrinsèque des individus : il devient plus rassurant de suivre le mouvement, quitte à brimer nos libertés les plus fondamentales telles que celle d’explorer des réflexions sans limites et celle de nos désirs primaires.

Dès lors, la population pense en utilisant une logique à bases erronées. Par conséquent, ils s’émancipent de la réalité. La douleur quotidienne d’un camp de travail n’est plus : elle devient une étape d’un plan quinquennal et, ultimement, d’une société communiste. L’extermination de juifs n’est plus un génocide, mais une accélération du processus de sélection naturelle afin d’améliorer le genre humain. Toutes révulsions naturelles et toutes émotions «anormales» sont considérées par l’entourage, puis par soi-même, comme des anomalies. La supériorité de l’idéologie chapeaute toutes les réflexions et contrôle les dérives émotionnelles. L’État, la société, puis soi-même s’autocontrôlent afin de respecter les principes découlant de la loi suprême, à défaut de se contredire et de devenir des entraves pour le processus, c’est-à-dire des criminels à sentencier.

Les gens soumettent leurs esprits et leurs libertés à une logique travestie. Ils ne peuvent trouver le cogito en eux-mêmes, de telle sorte que lorsqu’ils sont seuls, ils sont sans repères vrais. La seule chose en laquelle ils croient, leur seul phare, s’avère être cette loi essentialiste (celle de l’ordre naturelle pour les fascistes, celle de l’évolution de l’histoire pour les Soviétiques). Ce délaissement a lieu quand nous œuvrons sans buts propres. N’être qu’un membre d’un tout, agir pour un but lointain, voilà des éléments qui conduisent à la désolation, autant en privé qu’en public. Donc, en raison de la tension trop grande des énergies pour une simple idée, par la perte de contact avec le «ici-maintenant» et à cause des liens communautaires démantelés, le totalitarisme porte en lui les germes de sa propre destruction.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article